Pour une gestion postmoderne des portefeuilles
"Ce n'est pas en perfectionnant la bougie qu'on a inventé l'ampoule électrique". Cette phrase résume notre conception de la gestion des portefeuilles.
La théorie du portefeuille (Markowitz, 1952; Sharpe, 1964) qui est appelée "théorie moderne du portefeuille" a été couronnée par deux "prix Nobel" d'économie. Chez H&WC nous pensons que cette théorie moderne n'est plus adaptée aujourd'hui (l'a-t-elle seulement jamais été ?) à la gestion efficace et durable des portefeuilles réels, et qu'il est temps de passer à une gestion que nous proposons d'appeler "postmoderne" dans le sens de "après la domination du cadre moyenne-variance" impropre à prendre en compte les enjeux de durabilité et de verdissement de la gestion d'actifs.
Notre analyse repose sur les trois constats suivants.
1) La gestion des portefeuilles reste enchâssée dans un cadre "moderne"
On observe la présence toujours très forte d'un schéma de pensée qui date des années 1950 aux États-unis : le cadre d'analyse moyenne-variance, que nous appelons une forme symbolique de la gestion des portefeuilles. Le chapitre 4 du livre Le modèle de marche au hasard en finance montre que cette forme symbolique se manifeste dans trois pratiques professionnelles :
La tripartition des décisions d'investissement, soit la division des décisions d'investissement en trois décisions distinctes : la stratégie d'investissement en grandes classes d'actifs (par exemple 30% en actions et 70% en obligations), les décisions "tactiques" de changement de cette stratégie (par exemple surpondération de la part actions si l'on est optimiste sur les marchés, soit 40% en actions et 60% en obligations) et finalement les choix de titres pour remplir les "poches" correspondantes (par exemple les 40% actions doivent-ils être investis en indices de références ou en titres sélectionnés).
La définition de critères professionnels de ce que doit être un "bon" gérant, soit sa "feuille de route", par le critère du suivi du risque : un contrat de risque.
La réduction du risque à la seule volatilité issue du cadre moyenne-variance.
2) Les professionnels ne sont plus satisfaits de ce cadre "moderne"
On constate l'existence d'une insatisfaction des professionnels aujourd'hui par rapport à ce cadre. Cette insatisfaction s'exprime en particulier par trois attentes sans réponse :
Le besoin de la prise en compte du long terme : le cadre moyenne-variance est totalement inapte à intégrer le long terme puisque ses hypothèses fondamentales n'ont pas été conçues pour cela. C'est un cadre statique.
Le besoin de la prise en compte des risques extrêmes : une allocation d'actifs qui permette de naviguer par tous les temps, y compris par gros temps. Le cadre moyenne-variance est totalement inapte à prendre en compte les tempêtes des marchés puisque ses hypothèses fondamentales n'ont pas été conçues pour cela : c'est un cadre gaussien sans événements rares.
Le besoin de la prise en compte de la durabilité : une allocation d'actifs qui permette de contribuer aux enjeux environnementaux et climatiques contemporains.
Des outils existent cependant pour passer d'un cadre moderne à un cadre postmoderne, comme ceux décrits dans Risques financiers extrêmes et allocation d'actifs pour la définition de métriques vertes. Mais, on assiste à un frein à leur mise en place : une réglementation prudentielle qui s'appuie encore sur le cadre moderne.
3) La réglementation prudentielle continue à imposer ce cadre "moderne"
La réglementation internationale continue à opérer avec le cadre moyenne-variance, voire même décide de l'imposer alors que les spécialistes de la recherche en finance l'ont abandonné. Notre analyse est qu'il y a une colonisation tardive de la réglementation prudentielle par le cadre moderne.
De l'avis de tous les professionnels, on est passé d'un contexte où l'attitude à suivre pour être un "bon" gérant était la prudence à une attitude où tout devient possible pour autant que l'on puisse en fournir une quantification en termes de risque réduit à la volatilité. Pour le dire autrement, on a remplacé une prudence non calculable par une imprudence calculable. L'imprudence calculable est un effet secondaire de l'usage du cadre moderne.
Dans ce nouveau contexte marqué par l'émergence des modèles dans les prises de décision, il apparaît clairement un rôle nouveau pour une nouvelle fonction : celle de la gouvernance des modèles et de leur validation.